Recherche
Je m’interroge beaucoup sur la notion de transmission. Peut-être l’avez-vous remarqué dans mon précédent article, j’aime l’utiliser dans mes écrits, accompagnée du verbe « transmettre ». Ces deux mots révèlent selon moi certains de nos fonctionnements sociétaux et culturels. Ils sont les racines de la perpétuation de nos collectivités. 

Ces expressions me tiennent à cœur et je les relie volontiers au processus même de recherche. 

En effet, quel chercheur ne souhaite pas transmettre ? 

J’ai pourtant mis beaucoup de temps à saisir leur signification. Mon mental cherchait à se raccrocher à des définitions préalablement construites et je songeais qu’à partir de là seulement je pourrais mettre en mouvement l’action de transmettre. Mais où démarre « le transmettre » ?

Aujourd’hui, j’ai compris qu’avant d’intellectualiser une telle notion, il était nécessaire de la vivre et de l’intégrer dans mon corps. Parce qu’en fait, elle est. Et le corps est le grenier ce que nous récoltons de nos vies. C’est de ce mouvement dont j’ai envie de vous parler aujourd’hui.

Pourquoi ? 
  • Parce que, d’une part, passer par l’écrit me permet d’approfondir ce qui me tient à cœur sans me demander d’effort. Et qu’il est bon de pouvoir profiter de cet espace pour vous …TRANSMETTRE… ce qui m’anime ! 
  • Aussi, parce que la transmission est un sujet à représentations sur ce qui doit-être transmis, comment et pourquoi ? Tout un champ de possibilités qui peuvent aussi mener à l’injonction de « transmettre » ! 
  • Et surtout…Parce que si je suis, c’est que plusieurs personnes ont transmis avant moi, et ce depuis la nuit des temps ! Pourtant, comment toucher du doigt la réalité insaisissable de la transmission ? 
Il me semble que le désir de transmettre est une des souches de notre humanité qui ne demande qu’à s’exprimer. Et celui-ci est un des moteurs qui allume ma passion pour la recherche en Sciences Humaines et à créer mon métier. 
Je vous emmène donc avec moi dans ce nouvel article à travers ces trois questions : 
  • Transmission – Transmettre … De quoi parle-t-on ? 
  • Quelle en est ma vision ? 
  • Comment je l’applique dans mon activité ? 
Transmettre, ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu (Montaigne…Et d’autres avant lui) 

A l’ère des réseaux sociaux, du « scrolling », des débats sur les « fake news », de la consommation excessive de « contenus », je soutiens que la question de la transmission est centrale. Nous sommes submergés par un bavardage continu d’informations, et nous passons de l’une à l’autre sans même nous en rendre compte.
Or, l’esprit ne fonctionne pas « comme un vase qui a besoin d’être rempli ; c’est plutôt une substance qu’il s’agit d’échauffer ; il faut inspirer à cet esprit une ardeur d’investigation qui le pousse vigoureusement à la recherche de la vérité » partageait Aristophane, dans « Traditions des moralias » au Vème siècle avant JC. Autrement dit par Montaigne (XVIème siècle), « transmettre, ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu. »
Photo 1 - Transmettre, allumer un feu.jpg 458 KB
Dans la revue « Natives » (volume n°7), Bernadette Rébiénot Owansango, guérisseuse gabonaise décédée en janvier 2021, dit que la transmission est ce qui « permet de sauvegarder la continuité du savoir, comme une torche dont la flamme permet d’allumer une autre flamme ». Et si la transmission ne peut pas opérer, alors la flamme s’éteint. 
Là où la transmission flirte avec l’existence, elle peut être une question de survie pour certains peuples traditionnels. Ainsi, la transmission devient une valeur à la fois individuelle et politique. 

Transmettre (du latin – trans- et -mittere- : envoyer au-delà.) c’est en quelque sorte « passer le relais ».
La transmission, représente le trajet, le passage, la traversée.

J’aime cette idée de mouvement permanent qui invite à un élargissement de vision du monde grâce à cette alchimie magique qui se crée entre plusieurs individus. La transmission relie les Êtres à travers des processus qui circulent et sont réinventés, transformés, recyclés. Le simple échange entre émetteur et récepteur trouve ici ses limites dans la description de la transmission.

Observer, montrer le « passage » est très complexe puisqu’il implique d’être au cœur d’une multitudes d’interactions sociales.

Et ça se vit. C’est une circulation du donner-recevoir au service de l’amour du vivant. 

Et de cette alchimie magique naissent des créations chimériques. En effet, le chemin de la transmission ne s’effectue jamais de façon identique. Il implique toujours une invention et une réappropriation. C’est ce qui fonde la richesse de son parcours ! 
Marcel Mauss (1923) mène une étude de référence au sujet de l’organisation de sociétés mélanésiennes au cœur desquelles il observe ce qu’il appelle le don/contre-don comme un contrat fondateur des liens sociaux. Le « donneur » est reconnu et honoré dans le fait de « savoir donner » et le receveur est aussi doté d’une forme de prestige en « sachant-recevoir ». Ensuite, le processus est complet lorsque ce dernier « rend » à d’autres un équivalent de ce qu’il a reçu. 
J’observe que c’est dans cette réciprocité que se vivent les transmissions. Transmissions de savoirs, de connaissances, de récits, d’initiations, d’expériences, de rites…Si les formes et les modalités varient en fonction des contextes socio-culturels, le fond reste le même. Il est logé au cœur de la dignité humaine.

Être, chacun à son endroit, gardien de la vie et passeur.

C’est la façon dont je vois la transmission. 
Juste, saisir un instant, le vivre intensément avec le désir un jour, d’en faire part à quelqu’un. 
Le vivre. En présence. En conscience. 

Je ne suis pas surprise d’avoir mis du temps à intégrer la substance de la transmission. D’ailleurs, celle-ci continue d’être chez moi en chemin permanent. J’ai longtemps imaginé que pour transmettre, il fallait que je sois dans un rapport de force vertical destiné à accumuler des connaissances pour ensuite donner de l’information. Quel épuisement ! Surtout lorsque l’on sait (Théorie du cône d’apprentissage d’Edgar Dale au XXème siècle) que l’on ne retient que 10% de ce qu’on lit et 20% de ce qu’on entend ! 

Les sociétés occidentales dans lesquelles nous évoluons ont bien des difficultés à manier la rhétorique de la transmission. 

J’ai pu constater par exemple, à certains égards que transmettre un outil, un art, un patrimoine culturel ou un héritage familial pouvait contenir une charge émotionnelle si forte chez certains que cette action pouvait engendrer un sentiment de perte. 

Or, j’ai compris que la transmission était absolument intrinsèque à notre condition humaine : elle s’opère avec nous, malgré nous même ! Et bien plus par nos façons d’être que nos discours. La transmission n’est pas quelque chose que l’on possède. C’est être messager d’une façon d’être au monde, à travers un passé, qui plutôt que de s’évaporer, est revisité. Et les canaux par lesquels elle passe, eux peuvent être aussi diversifiés qu’il y a d’éléments vivants sur cette planète.
Photo 2 - Être passeur en présence.jpg 246 KB

J’ai compris aussi pourquoi la question de la transmission m’habite depuis de nombreuses années : elle est elle-même fondatrice du projet anthropologique. 

L’anthropologie est une science du lien, de la connexion, de la continuité, dans des mondes en rupture, en changement. Réciproquement, une des trames tissées dans les textes fondateurs de l’anthropologie est celle de la perpétuation et de la transmission. Si cette dernière est rarement un objet d’étude pour elle-même, nombre de chercheurs en Sciences Humaines et Sociales témoignent dans leurs enquêtes, de processus de transmissions et d’apprentissages. 
Finalement, comme l’écrit David Berliner dans son article (2010) : « la transmission interroge la manière de décrire le réel et nourrit les prémices d’une réflexion sur la continuité des sociétés humaines à l’épreuve des ruptures de l’Histoire ».  
Se construire dans l’altérité 

D’abord, ce dont j’ai pris conscience de précieux, c’est qu’expérimenter la transmission passe d’abord par la présence à soi, à l’autre, au monde et à plus grand. 
Ensuite, comment je vis le « faire passer » dans mon activité ? Car, il y a « ce que je suis » et ce que « j’agis ». Ce que je fais. 

Comme je vous le disais dans mon dernier article, je me situe dans un univers de « et ». Je me place entre plusieurs mondes que je ne peux me résoudre à exclure de mon quotidien. 

Je l’incarne donc dans FAHAM dont l’objectif est d’inviter le lien, le mouvement, et la préciosité de la rencontre, en mobilisant les Sciences Humaines et Sociales. Ma posture propose d’établir des ponts entre la démarche scientifique en socio-anthropologie et les espaces du sensible en plaçant l’être humain au cœur. Aviver une flamme dans le cœur des personnes qui collaborent à mes côtés est indissociable de la démarche scientifique que je propose.

Chacun de mes pas se construit dans l’altérité. 
  • Celle qui se vit dans les accompagnements, formations et cours que j’anime : 
Il y a deux éléments que retiennent souvent les stagiaires / apprenants / étudiants que j’ai la chance de côtoyer : « la rencontre » et « la découverte d’autres visions du monde ». Ces deux éléments fondamentaux passent exclusivement par l’expérience de situations ainsi que par la participation active à des discussions thématiques à travers lesquelles je nous relions nos intelligences de la tête, des émotions et des ressentis. 

Ces retours de vécus sont les plus beaux cadeaux que je puisse recevoir. 
Tout ce que nous prenons plaisir à partager est confronté au regard des autres et s’enrichit dans ce voyage de transmission. 

Oui, chaque rencontre est un voyage dans lequel je suis en apprentissage et c’est pour cette raison que je saisis le relais, cette torche vivante pour que la flamme ne s’éteigne jamais. Comme une respiration : inspirer et expirer. 
Transmettre sans en connaître absolument l’origine tout en honorant la source. Simplement laisser passer à travers ce que je suis pour nourrir cette chaîne vertueuse. « L’homme est homme à travers l’autre » dit un proverbe zoulou. 
  • Celle qui se vit dans mes enquêtes de terrain : 
Il me semble tellement important de revenir aux récits, aux rituels d’initiations et aux savoirs ancestraux sans folklore. Juste saisir la force des témoignages et de ce qui se pratique. 
C’est notamment pour cette raison que je suis particulièrement attachée aux méthodes d’enquêtes qualitatives dans mes recherches. A l’immersion. L’observation participante. Les entretiens.  

Elles permettent de partager des moments d’une puissante simplicité et de relier les éléments de discours avec des instants de vie. D’être témoin, parfois de ce qui ne se voit pas ou de ce qui a priori n’intéresse pas. C’est ce que j’aime partager dans mes écrits. Des fragments de quotidiens aussi insignifiants que révélateurs de pans entiers de société. 
Je me relie à cette sagesse africaine issue de l’aire Bantoue : l’ubuntu, qui signifie « l’art d’être humain ». Intégrer que toute vie humaine est reliée à la mienne. Une des formes que prend cette sagesse est le « Kasala » : un art oratoire qui amène à célébrer la vie en honorant la beauté de l’Être humain en louant ses singularités ainsi que ses qualités. 

 

Merci. Merci. Merci. 

A tous ces Êtres que j’ai rencontré au cours de ma vie. Qui font que je suis sur ce chemin aujourd’hui. 

En Malaisie, où j’ai eu la joie de passer quelques temps, « merci » se dit Terima-Kasih. Littéralement, cela signifie « Recevoir-Donner ».

A travers toutes ces rencontres, je reçois et je donne. Et c’est infini comme l’esprit de la transmission. 
Maintenant, je laisse place au silence. A cette préciosité de l’instant, en citant cette phrase merveilleuse de Christian Bobin (La grâce de la solitude, 2006). 
« Si on veut transmettre quelque chose dans cette vie, c’est par la présence, bien plus que par la langue et par la parole. La parole doit venir à certains moments, mais ce qui instruit et ce qui donne c’est la présence. C’est elle qui est silencieusement agissante ». 

Restons en contact!

Vous avez des questions, besoin d’informations supplémentaires, ou échanger autour d’un projet ?

Contactez-moi en remplissant le formulaire ci-dessous !